Le royaume d’Ougarit a connu son apogée vers 1300 av. n. è. Il était situé à la frontière nord du royaume d’Israël, dans l’actuelle Syrie. La destruction de la cité d’Ougarit par les peuples de la mer, vers 1200 av. n. è, a causé la perte de tout le royaume, qui s’est éteint peu après.

Pour mieux comprendre la Bible, il est indispensable de connaître la religion et les récits ougaritiques. Il semble d’ailleurs que les auteurs bibliques se réfèrent à Ougarit lorsqu'ils parlent des Cananéens. Même si ces derniers sont présentés comme des adorateurs de faux dieux, les auteurs bibliques se sont en fait beaucoup inspirés de leur religion et de leurs écrits. C’est ce que nous allons voir maintenant.

La religion ougaritique

Pour commencer, il est nécessaire de s’intéresser à la religion ougaritique, car c'est elle qui est à l'origine des dieux mentionnés dans la Bible.

Avant le XIIIème siècle av. n. è, le dieu principal d'Ougarit était El (littéralement "Dieu"). Il était considéré comme le père de l’humanité (qui se dit "adm" en langue ougarite), le "créateur de la création". Il était représenté comme un Dieu âgé avec des cheveux blancs, assis sur un trône. La cour du dieu El, peuplée de ses fils et filles, était nommée Elohim (littéralement "la cour des dieux").

Parmi les plus importants des "Elohim", nous pouvons mentionner Baal (le dieu de la fertilité), Asherah (la déesse mère), Yam (le dieu de la mer), et Mot (le dieu de la mort). Yahweh est aussi un des 70 fils du dieu El. Nous le savons grâce à KTU 1.1 IV 14, sur lequel il est inscrit : "Le nom du fils de El, Yahweh".

La déesse mère Asherah a d'abord été la parèdre (femme) de El. Puis elle fut associée à Baal, qui pris la place de El comme dieu principal ougaritique, comme nous le verrons plus loin. Enfin, Asherah sera finalement mentionnée chez les Hébreux comme étant la parèdre de Yahweh. Cette association durera jusqu'au IIIème siècle av. n. è, avant que le culte de Yahweh et d'Asherah ne soient définitivement abandonnés. Le nom de Yahweh sera alors bannit, et un dieu masculin sans nom deviendra alors le seul vrai Dieu dans la religion juive, réunissant à lui seul les caractéristiques de pratiquement tous les autres dieux, comme El, Baal et Yahweh.

Le texte ci-dessous est représentatif de la période de transition entre l'adoration de El comme dieu principal, et celle de Baal. Il est intéressant de noter que durant la période où Baal sera le dieu principal, il sera alors connu sous les titres de "roi des Dieux", "celui qui chevauche les nuées", et "le Très-Haut". Ces titres seront repris plus tard par les adorateurs de Yahweh pour désigner leur dieu.

Le Cycle de Baal

Le "Cycle de Baal" est un texte mythologique ougaritique, écrit vers 1350 av. n. è. La première partie du récit est malheureusement perdue, mais ce qu’il en reste est assez complet pour que nous en comprenions l’essentiel.

Le récit commence lorsque le dieu principal El, désireux de céder sa royauté, désigne Yam (le dieu de la mer) comme son successeur. Baal (le dieu de la fertilité) conteste cette décision et désire la royauté pour lui-même. Yam décide donc de le poursuivre, et finit par l’emprisonner.

Baal est alors aidé par Kothar (le dieu forgeron), qui lui fabrique deux massues. Grâce à ces armes, Baal tue Yam, ce qui lui vaut d’être proclamé "roi des Dieux".

Profitant de sa nouvelle notoriété, Baal exige de se faire construire un immense palais. Une fois cet édifice terminé, il donne une fête à laquelle tous les Dieux sont conviés. Tous viennent, sauf Mot (le dieu de la mort), qui conteste à son tour la royauté de Baal.

Baal se rend alors aux Enfers pour tenter de soumettre son nouvel ennemi, mais il n’en revient pas. Les autres dieux finissent par le croire mort. L’absence du dieu de la fertilité, responsable de la pluie, engendre des sécheresses durables, et ces sécheresses finissent par éprouver les hommes et les dieux.

Pour régler ce problème, Anat, la sœur de Baal, décide d’aller aux Enfers pour porter secours à son frère. Elle combat Mot et délivre son frère, qui revient parmi les vivants.

Baal et Mot s’affrontent alors dans un combat épique, mais aucun des deux ne l’emporte sur l’autre. Finalement, Mot finit par reconnaître la domination de Baal sur la Terre et retourne aux Enfers. Baal est alors sans contestation le "roi des Dieux".


Pour ceux qui ont lu la Bible, les noms des dieux évoqués ci-dessus sont certainement familiers. El (Elohim), Yahweh, Baal, et Asherah (Astarté) sont tous mentionnés dans le récit biblique.

Yahweh, ou plutôt YHWH, est mentionné près de 6'500 fois dans l'ancien testament, et El (Elohim) plus de 2'300 fois. Contrairement à la religion ougaritique, la tradition biblique tient à nous présenter ces deux noms comme désignant un seul et même dieu : celui d'Israël et de Juda. Toutefois, l'éclairage d'Ougarit montre que ce tableau n'est certainement pas aussi simple que cela.

Baal et Asherah sont désignés dans la Bible comme des faux dieux. Baal est mentionné 76 fois dans la Bible, et Asherah 14 fois. Il est intéressant de noter que, tout comme El/Elohim, ces noms sont parfois mis au singulier, parfois au pluriel.

En fait, contrairement à une idée très répandue, la Bible est par plusieurs aspects un livre polythéiste, qui porte des traces évidentes de la religion cananéenne telle que pratiquée à Ougarit. Ces traces ont progressivement été effacées des textes originaux, mais il en subsiste certaines. C'est ce que nous allons examiner maintenant.

Le polythéisme biblique

On traduit souvent le terme "Elohim" par "Dieu", et "Yahweh" par "l’Éternel" dans les Bibles modernes. Cela participe à confondre ces deux concepts, et amène à penser que la Bible ne présente finalement que les différentes facettes d'un seul et même "Dieu". Il est donc nécessaire, pour saisir le véritable sens du texte biblique, de se rapprocher le plus possible des langues originales de la Bible, et de bien choisir ses sources.

Je me servirais donc ici le plus possible de la Bible de Chouraqui, qui est une traduction mot à mot du texte hébreu et grec. Il faut savoir par contre que les sources qui ont servit à la traduction de Chouraqui peuvent parfois être contestées. Il existe en effet plusieurs sources, parfois contradictoires, qui servent à traduire certains passages bibliques. Aussi, je tenterais d'apporter plus d'éclaircissements sur certains passages qui, selon certains experts, auraient pu être rendus différemment.

Dans certains textes bibliques, il y a une confusion réelle entre El (ou Elohim, El Elyon et El Shadaï qui sont ses dérivés), et Yahweh (IHVH). Les passages suivants suggèrent qu'il s'agit bel et bien de différentes appellations d'une seul et même divinité.

- Genèse 1:1 : ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre
- Genèse 2:4 : Voilà les enfantements des ciels et de la terre en leur création, au jour de faire IHVH-Adonaï Elohîms terre et ciels.
- Genèse 14:18-22 : Malki-Sèdèq, roi de Shalém, a fait sortir le pain et le vin, lui, le desservant d’Él ‘Éliôn ­ l’Él suprême. Il le bénit et dit: « Abrâm est béni par Él ‘Éliôn, l’auteur des ciels et de la terre ! Et il est béni, Él ‘Éliôn, qui a bouclé tes oppresseurs entre tes mains. » Il lui donne la dîme de tout. Le roi de Sedôm dit à Abrâm: « Donne-moi les êtres. L’acquis, prends-le pour toi. » Abrâm dit au roi de Sedôm: « J’ai levé ma main vers IHVH-Adonaï, Él ‘Éliôn, l’auteur des ciels et de la terre
- Exode 6:3 : Je me suis fait voir à Abrahâm, à Is’hac et à Ia‘acob, en Él Shadaï. Mais sous mon nom, IHVH-Adonaï, je ne me suis pas fait connaître d’eux.
- Psaume 18:30-33 : Oui, en toi, je bondis contre la troupe; en Elohaï je franchis le rempart. Él ! Intègre est sa route; affiné, le dire de IHVH-Adonaï, lui, le bouclier de tous ceux qui s’abritent en lui. Oui, qui est Eloha hormis IHVH-Adonaï ? Et qui, le roc, sinon notre Elohîms ? Él me ceint de vaillance; il donne l’intégrité à ma route.

Si l'on s'arrête là, la Bible reste, comme beaucoup le croient, un livre purement monothéiste. Pour comprendre que ce n'est pas toujours le cas, il faut s'intéresser à d'autres passages bibliques.

"Elohim", comme je l'ai dit plus haut, est un terme au pluriel. Pourtant, le verbe associé est souvent accordé au singulier. Ce curieux mélange semble indiquer une volonté de démontrer que "l'assemblée des dieux" (Elohim) est une seule et même entité. L'utilisation du pluriel n'est toutefois pas réservée qu'à Elohim seul.

- Juges 2:11-13 : Les Benéi Israël font le mal aux yeux de IHVH-Adonaï. Ils servent les Ba‘alîm. Ils abandonnent IHVH-Adonaï, l’Elohîms de leurs pères, qui les a fait sortir de la terre de Misraîm. Ils vont derrière d’autres Elohîms, parmi les Elohîms des peuples de leur entourage. Ils se prosternent devant eux. Ils irritent IHVH-Adonaï. Ils abandonnent IHVH-Adonaï, ils servent Ba‘al et les ‘Ashtarot.

Toutefois, la Bible met parfois aussi le verbe associé à Elohim au pluriel. On peut penser que ces passages bibliques désignaient à l'origine effectivement une assemblée de plusieurs dieux.

- Genèse 1:26 : Elohîms dit: « Nous ferons Adâm ­ le Glébeux ­à notre réplique, selon notre ressemblance. Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels, la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre. »
- Genèse 3:22 : IHVH-Adonaï Elohîms dit : « Voici, le glébeux est comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal. Maintenant, qu’il ne lance pas sa main, ne prenne aussi de l’arbre de vie, ne mange et vive en pérennité ! »

Selon plusieurs passages bibliques, Yahweh réside parmi d'autres dieux.

- Exode 15:11 : Qui est comme toi parmi les dieux, IHVH-Adonaï ? [...]
- Juges 11:24 : N’est-ce pas, ce que te fait hériter Kemosh, ton Elohîms, tu en hérites. Mais tout ce que IHVH-Adonaï, notre Elohîms, nous fait hériter en face de nous, nous en héritons.
- Michée 4:5 : Oui, tous les peuples iront, chaque homme au nom de ses Elohîms. Et nous, nous irons au nom de IHVH-Adonaï, notre Elohîms, en pérennité, à jamais.
- 1 Rois 22:19 : Il dit: « Aussi, entends la parole de IHVH-Adonaï ! J’ai vu IHVH-Adonaï siégeant sur son trône. Toute la milice des ciels se tenait contre lui, à sa droite et à sa gauche.
- Psaume 82:1 : [...] Elohîms se poste au conseil d’Él; il juge au sein des Elohîms.

Il est aussi intéressant de noter que Yahweh s'attaque à d'autres Elohim.

- Exode 12:12 : Je passerai en terre de Misraîm, cette nuit-là, je frapperai tout aîné de Misraîm, de l’humain jusqu’à la bête : contre tous les Elohîms de Misraîm, je ferai des pénalités, moi, IHVH-Adonaï.

De plus, les Philistins le voient non comme un dieu unique, mais comme un panthéon de plusieurs dieux.

- 1 Samuel 4:8 : Oïe, de nous ! Qui nous secourra de la main de ces Elohîms majestueux, eux, les Elohîms qui ont frappé Misraîm à tous coups au désert ?

Josué admet qu'en Égypte, et lors du "passage du fleuve", les pères d'Israël servaient plusieurs dieux.

- Josué 24:14, 15 : Maintenant frémissez de IHVH-Adonaï, servez-le avec intégrité, avec vérité. Écartez les Elohîms que vos pères ont servis, au passage du fleuve et en Misraîm. Servez IHVH-Adonaï. Si c’est mal à vos yeux de servir IHVH-Adonaï, choisissez pour vous, ce jour, qui vous servirez, les Elohîms que vos pères ont servis au passage du fleuve, ou les Elohîms de l’Emori, sur la terre desquels vous habitez. Moi-même et ma maison, nous servirons IHVH-Adonaï. »

Selon la religion ougaritique, El a 70 fils et filles. Dans la Bible, il est dit cela de Jacob (aussi appelé Israël).

- Exode 1:5 : Ce sont tous les êtres sortis de la cuisse de Ia‘acob, soixante-dix êtres; et Iosseph était en Misraîm.

De plus, Jacob est parfois mis sur le même plan que Yahweh ou El. Notamment, Jacob est capable de lutter contre El. Son nouveau nom, Isra-El, signifie par ailleurs "lutteur d'El".

- Genèse 32:29 : Il dit: « Ton nom ne se dira plus Ia‘acob, mais Israël ­ Lutteur d’Él ­: oui, tu as lutté avec Elohîms et avec les hommes, et tu as pu. »

Un autre fait troublant concerne le passage de Deutéronome 32:8, 9. Voici comment Chouraqui rend ce texte :

- Deutéronome 32:8, 9 (Chouraqui) : Quand le Suprême met en possession les nations, quand il sépare les fils de l’humain, il fixe les frontières des peuples selon le nombre des Benéi Israël. Oui, son peuple est la part de IHVH, la’acob, le district de sa possession.

"Benéi Israël" veut dire "fils d'Israël". Ceci est un choix de traduction découlant d'un choix de sources, qui est dénoncé ici comme une supercherie. Notons que la Bible de Jérusalem rend le même passage ainsi :

- Deutéronome 32:8, 9 (Bible de Jérusalem) : Quand le Très Haut donna aux nations leur héritage, quand il répartit les fils d'homme, il fixa les limites des peuples suivant le nombre des fils de Dieu ; mais le lot de Yahvé, ce fut son peuple, Jacob fut sa part d'héritage.

Une meilleure traduction serait :

- Deutéronome 32:8, 9 (traduction proposée) : Lorsque Elyon départagea les nations, lorsqu'il répartit les hommes, il fixa les frontières de peuples selon le nombre des fils de El. La part de Yahweh fut son peuple Jacob, son héritage fut Israël.

Si le passage de Deutéronome 32:8, 9 est rendu de plusieurs manières dans les Bibles modernes, c'est principalement à cause d'un problème de choix des sources. Là où les textes massorétiques ont "fils d'Israël", les textes de la Septante et les manuscrits de la mer morte, qui sont plus anciens, parlent des "fils de El".

Conclusion

Le pluriel du mot Elohim, pluriel parfois répercuté parfois sur le verbe ; la mention d'autres dieux parmi lesquels IHVH réside ; l'utilisation du pluriel pour désigner parfois ces autres dieux ; l'utilisation de termes comme "la milice des ciels" ou le "conseil d’Él" ; le fait que le nombre des fils de Jacob soit égal au nombre des fils du "El" de la religion ougaritique : tout cela démontre que la Bible admet l'existence d'autres dieux, et est donc polythéiste.

Bien sûr, ces passages sont souvent relus dans une optique purement monothéiste. Les autres dieux sont présentés comme étant faux, inopérants et purement imaginaires, et seul IHVH est le vrai Dieu, avec un "D" majuscule, celui qui peut agir pour ses fidèles.

C'est bien comme cela que la Bible elle-même a été relue et repensée. Pourtant, comme nous l'avons vu, il reste des traces d'une autre vision, et les enlever ou les oublier serait rien de moins qu'une distorsion du texte original.

Le dieu de la foudre

Dans le Psaume 29, il est fait clairement référence à la foudre et au tonnerre. Il y est dit que la voix de Yahweh tonne, met le feu et dénude les forêts, et fait trembler le désert. Il y est aussi fait mention du déluge qui accompagne souvent le tonnerre et la foudre.

Ces références font penser au dieu ougaritique Baal, dont les adorateurs de Yahweh reprennent ici les attributs.

Liens

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ougarit
http://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_ougaritique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Baal
http://fr.wikipedia.org/wiki/Yahweh_(dieu_du_Proche-Orient)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Elohim
http://www.usherbrooke.ca/fater/fileadmin/sites/fatep/documents/Rayonnement/ougarit.pdf
http://www.chemins-cathares.eu/050300_les_patriarches_bibliques.php
http://www.chemins-cathares.eu/050400_dieux_deesses_canaan.php
http://www.levangile.com/Bible-CHU-1-1-1-complet-Contexte-oui.htm
http://cafe-biblique.blogspot.com/2009/12/la-septante-face-aux-textes.html
http://etrechretien.discutforum.com/religion-f1/d-ou-vient-yhwh-t132-15.htm
http://www.thedivinecouncil.com/DT32BibSac.pdf

Retour à l'index