Que penser du livre de Daniel dans la Bible?
En première lecture, ce livre semble avoir été rédigé au VIème siècle av. n. è. En effet, les évènements qui y sont relaté sont annoncés comme se déroulant entre l'an 3 du règne de Yehoïaqim (-605) et l'an 3 du règne de Cyrus à Babylone (-536).
Si cette époque de rédaction était correcte pour tout le livre, alors ce serait une preuve de la prescience de son auteur. En effet, aux chapitres 8 et 11, certaines prophéties semblent se référer assez clairement à la persécution des juifs par Antiochos IV, qui régna entre -175 et -163. De plus, les chapitres 9 et 12 semblent annoncer Jésus et la destruction du temple de Jérusalem.
Toutefois, la majorité des théologiens actuels penchent pour une rédaction finale de la version hébraïque du livre de Daniel entre -167 et -164. Alors, qu'en est-il?
Traces du livre
La première question à se poser, c'est à quand remonte la trace la plus ancienne du livre de Daniel. Voici quelques éléments de réponse:
- Les traces les plus anciennes du livre de Daniel que l'on connaît actuellement datent d'environ -125 (manuscrits de Qumrân). Ces manuscrits comportent des fragments des chapitres 1 à 11. De plus, ils comportent des variantes parfois importantes, ce qui indique qu'il y avait à cette époque un "cycle de Daniel", qui évoluait encore.
- Les manuscrits de Qumrân ne mentionne pas la prophétie des sept semaines annonçant le Messie (Daniel 9:20-27). La seule trace du chapitre 9 qu'ils renferment est celle des versets 12 à 17, qui ne parlent que de la désolation de Jérusalem.
- Daniel n'est pas mentionné dans le Siracide, écrit vers -200. Le livre de I Macchabées (-100), reprend plus ou moins la même liste que le Siracide, en y incluant cette fois Daniel et ses trois compagnons.
- Esdras n'est pas non plus mentionné dans le Siracide, mais le cas de ce livre est similaire à celui du livre de Daniel. Comme ce dernier, le livre d'Esdras a été écrit en deux langues (hébreux et araméen), concerne la même époque, et les spécialistes pensent qu'il a été retravaillé jusqu'au début du IIIème siècle av. n. è.
- Le livre de Daniel est classé parmi les Ketoubim (écrits), et non parmi les Nevi'im (prophètes). La majorité des historiens pense que la liste définitive des Nevi'im a été définie vers -200 et les Ketoubim vers -100. Malgré cela, l'historien et apologiste juif du Ier siècle Flavius Josèphe classe Daniel parmi les prophètes.
- La Septante, qui est une traduction grecque du Tanakh hébraïque, a semble-t-il été traduite entre -280 et -150. La version grecque du livre de Daniel y est inclut, mais ce livre a été traduit en dernier (vers -150) et a ensuite évolué encore pendant au moins un siècle.
Ainsi, il n'est pas possible de prouver la nature prophétique du
livre par les traces écrites que nous avons aujourd'hui. Au
contraire, ces traces vont plutôt dans le sens d'une écriture au
IIème siècle av. n. è. (entre -167 et -164).
L'avis des historiens
Si le livre de Daniel avait réellement été écrit au VIème siècle av. n. è., et que ses prophéties s'étaient réalisées avec éclat, certains historiens en auraient sûrement fait mention. Examinons donc ce que disent les historiens sur le livre de Daniel.
- Au Ier siècle, Flavius Josèphe soumet l'hypothèse que le livre
de Daniel aurait été présenté à Alexandre le Grand vers -330 pour
lui montrer que son intervention militaire y était annoncée.
Toutefois, sa description de ce chef païen se prosternant devant
un grand-prêtre est difficile à croire. De plus, Josèphe écrit
plus de quatre siècles après les évènements, et il n'est pas tant
un historien qu'un apologiste ayant pour but de défendre sa foi
juive face aux romains.
- L'authenticité du livre de Daniel a été contestée vers 268 par un philosophe et historien grec nommé Porphyre, dans un livre entier consacré au sujet. Ce livre a malheureusement été perdu depuis, et nous ne le connaissons aujourd'hui que par des citations indirectes.
La contestation sur la période de rédaction du livre de Daniel ne date donc pas d'hier. Le témoignage de Flavius Josèphe est trop tardif et ne prouve rien, si ce n'est que ce dernier avait pour but de défendre l'idée d'un récit juif prophétique, annonçant selon lui des évènements déjà passé d'au moins quatre siècles.
Analyse critique du texte
L'analyse du texte peut-elle nous éclairer sur la période de sa rédaction ? Voici quelques éléments à prendre en considération :
- Le livre a été écrit en plusieurs langues : d'abord en hébreux et en araméen, puis certains ajouts ont été fait directement en grec. Cela indique assez clairement qu'il a eu plusieurs auteurs et a été remanié.
- Les chapitres 13 et 14 en grec, ainsi que des ajouts dans le chapitre 3, ont été rédigés plus tardivement (vers le Ier siècle de n. è.). Ces textes sont considérés comme deutérocanoniques, et ne sont donc pas inclus dans les bibles juives et protestantes. Ces modifications tardives du texte indiquent que la version grecque du livre de Daniel n'était pas encore totalement figé au début du Ier siècle de n. è.
- Les règnes de Belshatsar et de Darius le Mède tels que décrits dans le livre sont considérés par les historiens comme des erreurs historiques, erreurs que seul quelqu'un écrivant après les évènements aurait pu commettre.
- Selon le livre, Daniel était un jeune homme en exil à Babylone en l'an 3 de Joïakim, qui est aussi la première année de règne de Nabuchodonosor (-605). Or, l'exil des juifs n'avait pas encore commencé à cette période.
- L'auteur du chapitre 4 prétend être Nabuchodonosor lui-même. Ce passage est écrit en araméen. Il montre ce roi babylonien s'humiliant et glorifiant le Dieu des juifs. Cette image est peu crédible, et aucun écrit babylonien de cette période ne vient la corroborer.
- Certains mots du livre semblent anachroniques s'il on considère une rédaction au VIème siècle.
On le voit, l'analyse du texte va dans le sens d'une rédaction tardive. Le fait que le texte a été modifié pendant plusieurs siècles, et qu'il soit si hétéroclite et peu digne de foi historiquement parlant, est révélateur.
Conclusion
Bien qu'au premier abord le livre de Daniel semble avoir été écrit au VIème siècle av. n. è., il s'avère que de nombreux arguments suggèrent une écriture (ou une réécriture) plus tardive.
On peut certes discuter chaque argument un à un et contester la conclusion des théologiens actuels, mais aucune preuve vraiment convaincante ne peut être apportée pour démontrer une écriture antérieure à réalisation de la prophétie.
Si vraiment un livre comme Daniel avait existé au VIème siècle
av. n. è., il aurait certainement été gardé très précieusement en
lieu sûr afin de s'assurer qu'aucune contestation ne puisse
survenir sur sa nature prophétique au moment où ses prophéties se
réaliseraient. Mais comme souvent, c'est la foi seule qui permet
d'y croire...
Références
Wikipedia en anglais sur Daniel - Expliquant le point de vue exégètique