Que personne donc ne vous juge sur le manger et le boire, ou à propos d’une fête ou de l’observance de la nouvelle lune ou d’un sabbat. – Colossiens 2:16, TMN.

La première fête interdite

Pour comprendre pourquoi les fêtes sont interdites chez les Témoins de Jéhovah, il nous faut remonter à l'origine de ces interdictions. On pourrait croire que l'une des premières fêtes à être interdite fût Noël, à cause de ses origines païennes bien avérées. A moins qu'il ne s'agisse des anniversaires, à cause de leur présentation négative dans la Bible ?

Il n'en est rien. Etonnamment, la première fête qui fut interdite parmi les Etudiants de la Bible fût Pâques, et pour des raisons qui peuvent paraître surprenantes aujourd'hui.

Dans le livre Gardez-vous dans l’amour de Dieu, la société Watchtower dit que « bien que Pâques soit présentée comme la commémoration de la résurrection du Christ, le nom anglais de cette fête (Easter) vient en fait d'Eostre ou Ostara, déesse anglo-saxonne de l’aube et du printemps, et que c'est un rite de fécondité répugnant. De plus, les premiers chrétiens ne commémoraient pas la résurrection du Christ, et n'étaient même pas autorisés à le faire ». Le livre ne fournit toutefois aucun passage biblique pour soutenir cette dernière affirmation.

Si l'on demande à un Témoin de Jéhovah pourquoi il ne fête pas Pâques, il répondra donc sans doute que c'est principalement à cause de son origine païenne que cette fête lui a été interdite. Pourtant, l’origine païenne de Pâques ne fût pas la raison qui fut invoquée par Russell lorsqu'il fit interdire cette fête parmi les Etudiants de la Bible. Si ce n’est pas cela, alors qu’est-ce que c’est ? Pourquoi Pâques a-t-elle été interdite ? Voyons cela en détails.

Un problème de calendrier

Dès le début du mouvement, l'une des principales préoccupations des Etudiants de la Bible fut l'imitation des premiers chrétiens. Or, nous savons qu’avant d'être à l'origine du christianisme, Jésus était juif, et qu’il vivait parmi des juifs, en Judée et en Galilée. Pour se replacer dans le contexte du christianisme du début du Ier siècle, il fallait donc aux Etudiants de la Bible comprendre les us et coutumes juives.

La fête de la Pâque fut l'une des premières victimes de cette volonté de retour au christianisme primitif. Dès avril 1880, un article de la Tour de Garde intitulé « Christ notre Pâque » précisait que les juifs commémoraient la Pâque juive « chaque année durant le quatorzième jour du premier mois ». A cette occasion, ils sacrifiaient un agneau afin de se rappeler que les premiers nés parmi les enfants d'Israël furent épargné lors de la dixième plaie d'Egypte.

Trois ans plus tard, la Tour de Garde d'avril 1883 profite de la période de Pâques pour rappeler que seule la date de la fête juive est correcte. Dans un article intitulé « la Pâque juive » (The Passover), il était demandé à quelle fréquence et quand il fallait « rompre le pain et boire la coupe à la mémoire de la mort du Seigneur ». La réponse semble aller de soi : « Le Repas du Seigneur est seulement célébré correctement à la date de son anniversaire ». L'article ne manque bien sûr pas de rappeler quand cet anniversaire doit tomber : « Dieu est très exact, et l'abattage de l'agneau, durant le quatorzième jour du premier mois, annonçait ou caractérisait le fait que dans les plans de Dieu Jésus devait mourir à cette période ».

Ainsi, selon les Etudiants de la Bible, la fête de Pâques était célébrée à une date incorrecte. Pour commémorer proprement l'anniversaire de la mort de Jésus, il fallait donc se référer au calendrier juif, ce que prétendaient faire les Etudiants de la Bible. De plus, comme il ne fallait pas célébrer deux fois la mort de Jésus durant la même année, les Etudiants de la Bible remplacèrent donc la fête chrétienne de Pâques par son équivalent juif.

En 1891, Charles Russell confirma son rejet de la fête traditionnelle de Pâques. Dans un article de la Tour de Garde (septembre 1891, page 35), il déclara que la pâque juive (Passover en anglais) fut remplacée par le dimanche de Pâques chrétien (Easter en anglais) lors du concile de Nicée en 325, et ce afin de gagner la faveur des « païens ignorants », qui « avaient l'habitude de célébrer la fête de leur déesse « Easter » (Ostera en allemand) - Estera, la déesse de l'Est ». Selon Russell, « ce fut l'une des nombreuses méthodes adoptées par le clergé ambitieux pour gagner en popularité et en influence ».

Dès lors, en plus d'un problème de calendrier, Russell évoque un changement de nom. Toutefois, Russell remettait-il en cause l'origine primitive de la fête de Pâques ? Lui prêtait-il des origines païennes ? Non, bien au contraire ! Il précisait que Pâques était à l'origine une fête juive, mais qu'elle aurait ensuite été renommée pour des raisons politiques, et déplacée dans le temps pour s'adapter à un calendrier qui n'était plus lunaire.

Russell mettait donc seulement en garde contre le fait d'avoir « christianisé » une fête juive. Voilà pourquoi il précisait dès 1880 que Pâques devait être célébrée selon la coutume le quatorze du premier mois (Nisan) du calendrier juif, et que son nom devait être celui qui était connu des juifs, c'est-à-dire « Passover » (pâque juive), et non « Easter » (Pâques). Ainsi, contrairement à ce que croient les Témoins de Jéhovah de nos jours, ce n'est pas l'origine païenne de la fête de Pâques qui a entraîné son interdiction. Cela n'a joué absolument aucun rôle.

De fait, Russell a continué à observer la fête de Pâques, mais il en a seulement changé les modalités pour se conformer, selon lui, aux coutumes juives primitives. Les Etudiants de la Bible n'ont fait que déplacer une fête dont la date était déterminée selon le calendrier solaire, pour la faire tomber exactement, selon leurs calculs, le 14 Nisan du calendrier lunaire juif.

D’ailleurs, la Tour de Garde d'avril 1881, dans un article intitulé « Le souper du Seigneur », (p. 3) précisait que la pâque juive célébrée chez les Etudiants de la Bible était suivie d'une fête de sept jours durant laquelle on ne mangeait que du pain sans levain. Cela rappelle la « Semaine Sainte » des Catholiques, qui sert à se remémorer pendant sept jours les derniers instants du Christ sur terre.

Quelques années plus tard, sous Rutherford, ce « souper du Seigneur » sera connu sous le nom de « Mémorial », et deviendra, légèrement transformée, l'unique célébration annuelle des Témoins de Jéhovah.

L'origine païenne de Pâques mise en avant

A partir du moment où il a été décidé que le Mémorial devait remplacer Pâques, il est devenu de plus en plus nécessaire de faire passer Pâques pour une fête que Dieu avait en horreur.

Après la mort de Russell, son successeur Joseph Rutherford, ne fit d'abord que reprendre les mêmes arguments : « Le nom « Easter » est dérivé du mot Estera, une déesse des Saxons, dont la fête était célébrée durant le printemps, à peu près au moment de la pâque juive (Passover). [...] Les chrétiens célèbrent le quatorze Nisan annuellement, comme commémoration de la mort de notre Seigneur et le Mémorial institué par Lui, qu'Il enjoint à Ses disciples de garder jusqu'à ce que Son royaume soit établit. » - The Golden Age, 13 avril 1921, p. 364.

Il fallut attendre le successeur de Rutherford : Knorr, pour que les origines païennes de Pâques deviennent enfin l'unique excuse pour refuser sa célébration. En 1949, il était expliqué que « le nom « Easter » venait en fait d'Astarte, signifiant « la femme qui a fait des tours ». Cette femme était évidemment Semiramis, la femme de Nimrod, qui l'a aidé à construire la tour de Babel. Après sa mort, elle fut déifiée comme « reine du ciel », et durant de nombreux siècles avant le temps de Jésus, toutes les religions primitives ont célébré une fête printanière en son honneur. » - Awake!, 8 avril 1949, p. 12, « Les démons de Pâques ».

En 1989, le livre Comment raisonner à partir des Écritures (p. 165), rappelait encore l'origine païenne de Pâques en citant Les Deux Babylones, d'Alexander Hislop. Dans cet ouvrage de 1858, Hislop présentait l'origine païenne non seulement de Pâques, mais aussi de Noël.

Douze ans avant que Russell ne fonde son groupe d'Etudiants de la Bible, il était donc connu que Pâques et Noël avaient une origine païenne. Pourtant, bien que Russell fît interdire Pâques dès le début du mouvement, les Etudiants de la Bible continuèrent à fêter Noël jusqu'en 1928, c'est-à-dire pendant encore plus d'un demi-siècle ! Cela démontre avec plus de force encore que l'origine païenne de Pâques n'était pas la véritable raison de son interdiction.

Lire la suite...