Selon les Témoins de Jéhovah, de nombreux passages de l’Ancien Testament auraient annoncé des détails de la vie de Jésus, comme son lieu de naissance, sa prédication, sa trahison pour 30 pièces d’argent, la façon dont il mourut et le tirage au sort de ses vêtements. L’accomplissement de ces prophéties est destiné à nous convaincre que Jésus était bien le Messie promis, et attester que les prophéties étaient bel et bien d’origine divine, prouvant ainsi que la Bible est la Parole de Dieu (La Bible: Parole de Dieu ou des hommes?, p. 117-133).

Il faut savoir que cette idée n’est pas nouvelle. En fait, elle date même des premiers temps du christianisme, car elle est défendue par les évangélistes eux-mêmes.

Ainsi, Matthieu prétend-il que Jésus est appelé hors d’Egypte pour accomplir une parole prophétique (2:15). Ensuite, le « massacre des innocents » déclenché par Hérode est compris comme étant l’accomplissement d’une prophétie de Jérémie (2:17). La naissance de Jésus à Nazareth aurait aussi été annoncée (2:23). Jean le Baptiste est annoncé par Isaïe (3:3), ainsi que le fait que Jésus débute sa prédication par le peuple de Zabulon et de Nephthali (4:14). Isaïe et d’autres auraient aussi prédit ses guérisons miraculeuses (8:17), sa compassion (12:17) et son enseignement fait de paraboles (13:35). A la fin de sa vie, son arrivée à Jérusalem sur un âne (21:4-5), et le fait que les soldats du gouverneur se partagent ses vêtements en tirant au sort (27:35) auraient aussi été annoncés par les prophètes du passé.

Pour résumer, on peut dire que l’un des principaux buts des évangiles est de démontrer que Jésus était bien le Messie, et qu’il ne peut y avoir aucun doute là-dessus (Aux origines du christianisme, introduction p. xix-xx). Cependant, contrairement à certaines autres prophéties, dans ce cas il n’y a aucune doute que l’Ancien Testament a effectivement été écrit bien avant les évangiles, et donc que les « prophéties » concernant Jésus ne sont pas ex eventu, c’est-à-dire être écrites après les faits. Il faut pourtant se poser la question suivante : le fait que les évangiles fassent des parallèles entre la vie de Jésus et des passages de l’Ancien Testament prouve-t-il que les prophètes annonçaient bien Jésus ? Autrement dit, se pourrait-il que les évangélistes aient recyclé des textes qui ne s’appliquaient absolument pas à Jésus, et ce dans le but de convaincre leurs auditeurs qu’il était bien le Christ ?

Réalité ou fiction ?

Il faut se rendre à l’évidence. Mis à part ce qui se trouve dans les évangiles, nous ne savons absolument rien des détails de la vie de Jésus. En effet, Jésus n’a laissé des traces que grâce à ses « biographes » que furent les évangélistes. Reste donc à savoir si ces « biographies » reflètent plus la réalité ou la fiction.

Même si ce débat passionne les historiens modernes, Mordillat et Prieur, auteurs de la célèbre émission « Corpus Christi », résument la question en admettant avec humilité leur ignorance : « Jésus est un individu dont nous ne savons rien (ou presque), sinon qu’il est mort » (Mordillat et Prieur, Jésus contre Jésus, 2008, p. 19). De fait, pratiquement tout ce que nous savons sur lui vient de textes qui ont été couché par écrit plusieurs décennies après les faits. De plus, un véritable tri a ensuite été opéré entre les dizaines d’évangiles disponibles au IVème siècle, déclarant « apocryphes » l’immense majorité d’entre eux. Ainsi, seule une foi aveugle permet d’accepter les yeux fermés ce qui se trouve dans les quatre évangiles qui ont été jugés dignes d’être « canonisés », cette même foi rejetant la plupart du temps les autres évangiles, souvent sans même les connaître.

Il est donc impossible à quiconque de garantir que les détails de la vie de Jésus ne sont pas de pures fictions. On peut même aller plus loin encore, et affirmer sans risque de se tromper que certains détails ont en effet une très grande probabilité d’avoir été effectivement inventés par les auteurs des évangiles.

L’exemple le plus flagrant est sans doute le « massacre des innocents », qui est censé avoir eu lieu moins de deux ans après la naissance de Jésus (Matthieu 2:16-18). Selon l’auteur de l’évangile de Matthieu, ce récit trouve son parallèle « prophétique » en Jérémie 31:15, où il est question de Rachel qui pleure ses enfants morts. On doit bien admettre que le sens prophétique des paroles de Jérémie ne saute pas aux yeux, et que sans l’aide de Matthieu, probablement personne n’aurait pensé à faire un rapprochement entre ces deux évènements.

De plus, Matthieu est curieusement le seul à mentionner cet épisode, qui est totalement ignoré tant des autres évangiles que des historiens contemporains de Jésus. Même Flavius Josèphe, un historien du Ier siècle qui connaissait très bien l’histoire juive, n’en parle absolument pas. Un tel massacre serait-il passé inaperçu aux yeux de l’histoire ? Ou bien a-t-il simplement été une pure invention de l’évangéliste destinée à faire un parallèle avec un passage de l’Ancien Testament ?

Notons que le premier témoignage d’un non chrétien que nous avons de cet épisode est celui d’un certain Macrobe, dont les écrits datent du début du Vème siècle. Ce témoignage est bien sûr trop tardif pour être déterminant, et de plus, l’appartenance religieuse de Macrobe fait débat. En effet, même s’il est admis par certains qu’il serait païen, d’autres, comme Collins et Grotius, pensent qu’il s’était converti au christianisme. Il est donc fort probable qu’il ait puisé dans l’évangile de Matthieu pour écrire l’histoire d’Hérode et parler du massacre.

Ainsi, l’un des épisodes utilisé par les évangélistes pour prouver que Jésus était le Messie serait une pure invention. Cela pourrait-il être le cas d’autres détails de la vie de Jésus, voire même de tous ceux qui prétendent avoir été annoncé prophétiquement ?

Un autre détail contesté est la naissance de Jésus à Nazareth, car le village de Nazareth semble n’avoir été repeuplé qu’à partir du IIème siècle. Ainsi, le terme pourrait-il désigner autre chose que le lieu de naissance de Jésus, comme par exemple la fonction de « Nazaréen », qui désigne les membres d’un groupe dissident du judaïsme, dont Jésus est le chef. Ce terme est d’ailleurs repris sur l’écriteau placé sur la croix : « Jésus le Nazaréen le Roi des Juifs » (Jean 19:19, TMN).

Il n’existe non plus aucune preuve non biblique d’un éventuel exil de la famille de Jésus hors d’Egypte, ni bien sûr du fait que Jésus débute sa prédication par le peuple de Zabulon et de Nephthali, ni de ses guérisons miraculeuses, ni de son entrée à Jérusalem sur un âne, ni du partage de ses vêtements après sa mort. Tous ces évènements ne sont décrits que par les évangélistes, et les parallèles prophétiques qu’ils font, sont de leur crû.

Au vu de ces critiques, on pourrait objecter que nous avons tout de même quatre témoignages indépendants et concordants, et que les évangiles sont donc des sources fiables. En effet, Matthieu, Marc et Luc forment trois témoignages « synoptiques » qui s’accordent sur bien des points. De plus Jean, bien que très différent des synoptiques, n’en contient pas moins de nombreux détails qui sont en accord avec eux. Ainsi, n’avons-nous pas finalement quatre témoignages indépendants qui se valident les uns les autres, assurant ainsi de la crédibilité historique de leurs récits ?

Les évangiles : quatre sources indépendantes ?

Si l’on compare les évangiles synoptiques entre eux, on constate très vite qu’ils sont tous trois très semblables. Notons d’ailleurs que le terme « synoptique » décrit le fait que leurs plans offrent une concordance très forte entre eux. En effet, même s’il existe certaines variantes propres à chaque évangéliste, la trame principale reste la même, et les similitudes vont parfois jusqu’à l’utilisation des mêmes expressions et des mêmes mots (Frédéric Godet, Introduction au nouveau testament - Les évangiles synoptiques, 1904, p. 589).

Par exemple, les textes de Matthieu 16:13 à 17:23, de Marc 8:27 à 9:32, et de Luc 9:18 à 9:45 sont pratiquement identiques, parfois au mot près. Tous trois présentent d’abord qui est Jésus et comment le suivre, puis parlent de la révélation du royaume, de la guérison d’un enfant possédé, et enfin annoncent la mort et la résurrection de Jésus.

Il en est de même pour les textes de Matthieu 19:13 à 28:15, de Marc 10:13 à 16:8, et de Luc 18:15 à 24:12, malgré certaines variations mineures. En effet, tous trois commencent par la scène où Jésus accueille des petits enfants, puis parlent des riches et du royaume de Dieu, prédisent ce qui attend Jésus à Jérusalem, le montrent guérissant des aveugles, entrant triomphalement à Jérusalem, puis enseignant dans le Temple. Son autorité est ensuite contestée, il culpabilise alors les chefs religieux et règle divers controverses avec eux. Il se lamente ensuite sur la prochaine destruction de Jérusalem. C’est alors qu’il est trahit par Juda, et qu’il prédit que Pierre est sur le point de le renier. Il est ensuite arrêté sur le mont des Oliviers après avoir célébré la Pâque juive. Il se retrouve alors devant le Grand-Conseil, puis devant Pilate qui le condamne à mort. Les trois textes se terminent par sa crucifixion, sa mise au tombeau et sa résurrection.

Les mots et les expressions utilisées sont très proches. Ainsi, tout laisse à penser que les évangélistes « synoptiques » ont copié les uns sur les autres, modifiant au passage certains détails ou ajoutant des digressions. On note en effet que 76% de Marc, 45% de Matthieu et 41% de Luc sont communs chez ces trois évangélistes.

Si l’on s’intéresse aux détails, on notera aussi que seulement 3% de l’évangile de Marc est unique, le reste étant commun à la fois avec Matthieu et Luc (76%), ou seulement avec Matthieu (18%). En ce qui concerne Matthieu, on constate que seulement 20% de son texte est unique, le reste étant commun avec Marc et Luc (45%), avec Luc seul (25%), ou avec Marc seul (10%). Enfin, Luc est le texte qui est le plus original, 35% de son contenu étant unique. 41% du livre est tout de même commun avec les deux autres synoptiques, et 23% avec Matthieu seul.

Ainsi, Marc semble être la source première chez laquelle les autres évangélistes ont puisé (Frédéric Godet, Introduction au nouveau testament - Les évangiles synoptiques, 1904, p. 629). Matthieu est ensuite l’évangile qui lui ressemble le plus, 94% du texte de Marc se retrouvant dans cet évangile. Il est donc très probable que l’auteur de Matthieu ait copié sur Marc, puis ait ensuite complété son texte par des histoires que Marc n’avait pas écrites.

Luc semble puiser aussi de la matière chez Marc, mais moins que Matthieu. Cela indiquerait-il que Luc aurait copié sur Marc avant que son texte ne soit finalisé, c’est-à-dire dans une sorte de « proto-Marc » ? La majorité des chercheurs ne soutiennent pas cette théorie. Ils pensent au contraire que Luc a puisé dans le Marc que nous connaissons actuellement, mais qu’il n’a pas jugé utile de reprendre la totalité du texte (Frédéric Godet, Introduction au nouveau testament - Les évangiles synoptiques, 1904, p. 626). Comme Luc contient aussi des paroles en commun avec Matthieu que Marc ne connaît pas, les experts pensent que ces deux évangiles se sont inspirés d’une source commune, la fameuse « source Q ».

Ce petit exposé résume la théorie la plus en vogue depuis plus d’un siècle pour expliquer les similitudes et les divergences des synoptiques : « l’hypothèse des deux sources ». Dans cette théorie, les sources en question sont Marc et la fameuse source Q, dans lesquels puisent à la fois Matthieu et Luc. Ainsi, les convergences de vues des trois évangélistes synoptiques sont uniquement dues à des copies d’un texte à l’autre, et la logique qui veut que l’on disposerait là de trois témoignages indépendants ne tient plus.

D’aucuns pourraient objecter que l’on dispose d’un quatrième évangile, Jean, qui bien que très différent des synoptiques, n’en valide pourtant pas moins leur point de vue. En fait, on peut dire que la majorité de l’évangile de Jean ne reprend ni les récits des synoptiques, ni leurs expressions les plus courantes, et que l’on trouve de plus des différences dans l’enchaînement des évènements.

Par exemple, Jean ne parle du « royaume de Dieu » que deux fois, alors que ce thème est très présent chez les synoptiques. De plus, l’expression « Qui a des oreilles entende ! », récurrente chez les synoptiques, est absente chez Jean. On peut noter aussi que Jésus chasse les marchands du temple au début de son ministère chez Jean, mais à la fin chez les synoptiques. Enfin, la date de la crucifixion de Jésus est placée par Jean au 14 Nisan, alors qu’elle a lieu le 15 chez les synoptiques.

Ces différences s’expliquent très bien par la transmission de plusieurs traditions orales ayant divergé au fil du temps. Ainsi, le courant « johannique » (qui se réclame de Jean) aurait produit des écrits mettant l’accent sur la mission de rédemption de Jésus, tandis que les courants « synoptiques » auraient mis d’avantage l’accent sur son rôle messianique. Loin d’être complémentaires, ces deux points de vue sont en fait plutôt contradictoires.

Au vu de ce qui précède, on doit bien admettre que seule la foi permet de croire que l’Ancien Testament a réellement annoncé la venue et les détails de la vie de Jésus. Aucune preuve historique n'a encore été produite pour démontrer cela.

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