Dans le livre Parole de Dieu, plusieurs prophéties concernent Babylone, et principalement la période qui s’étend entre la fin du VIIème siècle av. n. è. et le milieu du VIème. C’est durant cette période que le premier temple de Jérusalem a été détruit, et que le peuple juif s’est vu alors exilé. En 539 av. n. è, après plusieurs dizaines d’années d’exil, Babylone elle-même est tombée aux mains de Cyrus, le roi de Perse. Celui-ci a détourné les eaux de l’Euphrate qui protégeaient la ville, ce qui a grandement facilité sa conquête. Les juifs ont alors pu retourner dans leur pays.

Selon les témoins de Jéhovah, Isaïe aurait annoncé tout cela au VIIIe siècle avant notre ère, soit plus de cent ans avant les faits. De plus, quelques années avant la destruction du temple, Jérémie aurait ajouté que les Babyloniens viendraient et dévasteraient le pays, et que ses habitants devraient alors servir le roi de Babylone pendant soixante-dix ans.

Les témoins de Jéhovah prétendent que tout s’est déroulé exactement comme les prophètes l’ont annoncé. Ainsi, ils placent la destruction du temple de Jérusalem en 607 av. n. è. et le retour d’exil en 537 av. n. è, soit à exactement soixante-dix ans d’intervalle. De plus, ils prétendent que la manière dont Babylone a été prise a été décrite en détails à l'avance par Isaïe.

Si tout cela est vrai, on pourrait alors dire qu’Isaïe et Jérémie étaient dotés d’un don de préscience hors du commun. Mais qu’en est-il vraiment ? Que disent les spécialistes de la question ?

La rédaction des livres d’Isaïe et de Jérémie : quand ?

Les prophéties d’Isaïe concernant Babylone se trouvent aux chapitres 13 et 39 de son livre, c’est-à-dire dans une partie que les spécialistes appellent le « proto-Isaïe ». Cette partie est nommée ainsi parce qu’elle a été principalement écrite du temps du prophète, contrairement au reste du livre qui a été rédigé plus tardivement. Dans l’Introduction à l’Ancien Testament (p. 416-420), le théologien Jacques Vermeylen situe l’activité du prophète Isaïe entre 740 et 701 av. n. è, c’est-à-dire plus ou moins au même moment que les Témoins de Jéhovah. On pourrait donc en conclure que ces prophéties ont donc bel et bien été écrites plus d’une centaine d’années avant les événements qu’elles annoncent.

Toutefois, Vermeylen précise que « même en ce qui concerne les chapitres 1 à 39, l’apport de rédacteurs postérieurs au prophète est très important ». Il ajoute que la finalisation de l’écriture du livre a eu lieu durant la première partie de l’époque perse, c’est-à-dire peu après le retour d’exil vers 538 av. n. è. De plus, dans Le trône de Dieu (p. 31), l’historien des religions Marc Philonenko précise que Isaïe chapitres 1 à 39 comprend « plusieurs collections indépendantes, rassemblées seulement au VIème siècle, chacune d’elle composée de trois parties : un corpus, des fragments et une partie finale de promesses, cette dernière datant d’après l’exil ». Ainsi, les prophéties d’Isaïe auraient très bien pu avoir été rédigées après les événements qu’elles semblent prédire.

Il en est de même pour Jérémie. Toujours selon l’Introduction à l’Ancien Testament (p. 433), le livre de Jérémie aurait été composé vers 400 av. n. è, même s’il aurait été certainement réécrit en se basant sur des sources plus anciennes. Ainsi, l’écrit final daterait de plusieurs siècles après les évènements « prophétisés ».

Il n’était donc pas difficile, dans ces circonstances, d’ajouter à posteriori plus de détails à des récits prophétiques plus anciens afin de les rendre encore plus crédibles.

Réalisées dans les moindres détails ?

En plus d’avoir été très certainement révisées après les faits, les prophéties concernant Babylone ne collent en fait pas vraiment avec l’histoire. En effet, Jérusalem n’a pas été détruite en 607 av. n. è. comme les témoins de Jéhovah le prétendent, mais vingt ans plus tard, en 587. Ainsi, il s’est écoulé seulement cinquante années entre la destruction de Jérusalem et le retour d’exil, et non soixante-dix comme le prophétisait Jérémie.

Cette durée est d’ailleurs confirmée par l’un des historiens les plus souvent cités par les Témoins de Jéhovah : Flavius Josèphe. Dans Contre Apion (XXI, 154), il compte très clairement cinquante ans, et non soixante-dix, entre la 18ème année de Nabuchodonosor (qui marque la destruction du temple de Jérusalem d’après Jérémie) et la deuxième année de Cyrus (qui marque le retour d’exil selon lui). Ainsi, même si l’on accepte une date de rédaction haute (c'est-à-dire ancienne) pour les livres prophétiques, il n’en demeure pas moins que la prophétie ne s’est pas accomplie, contrairement à ce que prétendent les Témoins de Jéhovah.

Bien sûr, ces derniers mettront en doute les conclusions des historiens, tant concernant la datation des livres bibliques que concernant la destruction du premier temple de Jérusalem. Toutefois, quelle est l’approche la plus sûre : faire confiance à des biblistes de renom, ou bien faire confiance à des croyants qui désirent convaincre à tout prix que la Bible est d'origine divine ?

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