Pour achever de convaincre ses lecteurs que les prophètes bibliques ont été inspirés par Dieu, le livre Parole de Dieu conclut son examen des prophéties du passé par celle qui est sans doute la plus connue des chrétiens : l’annonce de la venue du Messie. Le chapitre 9 de Daniel annonce ceci : « Soixante-dix semaines [d’années, période de 490 ans] ont été décrétées sur ton peuple et sur ta ville sainte. Depuis l’ordre donné pour rebâtir Jérusalem, jusqu’au Christ chef, il y aura sept semaines [d’années] et soixante-deux semaines [d’années]. ». Ainsi, si l’on accepte cette traduction, Daniel compte 69 semaines d’années, soit 483 ans, entre l’ordre de rebâtir Jérusalem et le Christ.

Selon les témoins de Jéhovah, l’ordre de rebâtir Jérusalem aurait été donné en 455 av. n. è, ce qui correspondrait à la vingtième année du roi de Perse Artaxerxès. En comptant 483 ans à partir de là, on arrive en l’an 29 de n. è, date à laquelle Jésus aurait été baptisé par Jean, devenant alors le « Christ ».

La prophétie poursuit en disant qu’ « après soixante-deux semaines [d’années], le Christ sera mis à mort ». Elle ajoute qu’ « il confirmera l’alliance avec un grand nombre pendant une semaine [d’années], et, au milieu de la semaine [de sept années], les victimes et le sacrifice cesseront. » (Daniel 9:26, 27, Fillion). Les Témoins de Jéhovah appliquent ces paroles aux trois ans et demi (la moitié d’une semaine d’années) de prédication de Jésus, à la fin desquels il fut mis à mort. Selon eux, cette mort mettait un terme à la Loi de Moïse et à son système de « victimes et de sacrifices ».

Le reste de la « semaine de sept années » serait les trois ans et demi qui se sont terminés en l’an 36, date à laquelle l’apôtre Pierre aurait commencé à prêcher aux non-juifs, étendant ainsi « l’alliance avec un grand nombre ». Pour finir, Daniel aurait annoncé la destruction de Jérusalem par Titus en l’an 70 lorsqu’il aurait dit : « Un peuple, avec un chef qui doit venir, détruira la ville et le sanctuaire; et sa fin sera la ruine, et, après la fin de la guerre, viendra la désolation décrétée. » (Daniel 9:26, Fillion)

Une interprétation correcte ?

Si l’on accepte ce que disent les témoins de Jéhovah, on peut facilement être impressionné par cette prophétie, car elle semble en effet s’être réalisée dans les moindres détails. Seulement, leur explication comporte malheureusement un défaut majeur : elle est en désaccord avec l’histoire. En effet, le règne du roi perse Artaxerxès est bien attesté, et sa vingtième année se situe en 445 av. n. è, et non en 455 comme ils le prétendent.

De plus, il est impossible d’affirmer avec certitude que le baptême de Jésus eu lieu en l’an 29 de n. è. En effet, certains le situe plutôt en 27, et d’autres en 30. La durée du ministère de Jésus est aussi sujette à débats. Les estimations varient entre une seule année et vont jusqu’à trois ans et demi, voire plus. En fait, on ne sait pas exactement quand le ministère de Jésus a commencé, ni quand il s’est terminé.

Pour finir, la destruction de Jérusalem en l’an 70 ne colle pas avec la prophétie, qui est censée se terminer à la fin de période des « soixante-dix semaines d’années », c’est-à-dire en 36 si l’on en croit les Témoins de Jéhovah.

La question se pose donc : Daniel savait-il réellement ce qui allait arriver plusieurs siècles à l’avance ? Lorsqu’il parlait du « Christ » ou de l’« Oint » comme le rendent d’autres traductions, faisait-il vraiment référence à Jésus ?

Pour répondre à ces questions, il faut d'abord savoir que comme pour la prophétie décrivant l’enchaînement des puissances mondiales, celle des 70 semaines de Daniel chapitre 9 a donné lieu à plusieurs interprétations. Les trois courants principaux qui ont tenté de l’expliquer ont été les chrétiens issus de l’adventisme (dont les Témoins de Jéhovah), certains courants juifs fondamentalistes, et certains historiens.

Les interprétations chrétiennes

Commençons par examiner quelques interprétations chrétiennes de cette prophétie. Les mouvements qui prônent l’inerrance biblique, comme les Témoins de Jéhovah, voient clairement dans les paroles de Daniel l’annonce de la venue de Jésus Christ. Pour la plupart d’entre eux, la prophétie annonce le baptême de Jésus, mais certains la font aussi arriver sur d’autres moments importants de sa vie, comme sa naissance ou sa crucifixion.

Les adventistes du septième jour, dont les doctrines sont très proches de celles des Témoins de Jéhovah, font débuter les soixante-neuf semaines d’années en 457 av. n. è, pour les faire se terminer en 27 de n. è, date à laquelle ils situent le début du ministère de Jésus Christ. Ainsi, la prophétie est comprise pratiquement de la même manière que les Témoins de Jéhovah, sauf que tout est décalé de deux ans.

En revanche, le professeur Robert C. Newman, spécialiste du Nouveau Testament, fait débuter la période prophétique de soixante-neuf semaines d’années un peu plus tard, en 445 av. n. è, et établi un compte spécial qui saute certaines années sabbatiques. La date finale revient au même point que chez les adventistes du septième jour : le baptême de Jésus en 27 de n. è. (Robert Newman, The Time of the Messiah, 1990, p. 111-118).

Le pasteur évangélique Josh McDowell, reprenant le travail de Robert Anderson, fait débuter la prophétie en 445 av. n. è, tout comme Newman. Cependant, il compte en « années prophétiques », ce qui donne un calcul assez complexe qui pointe finalement en l’an 32, date à laquelle il établit que Jésus aurait été crucifié (Sir Robert Anderson, The Coming Prince, 1895 ; Josh McDowell, Evidence That Demands A Verdict, 1972).

D’autres interprétations chrétiennes existent, mais il serait trop long de les citer toutes ici. En tout cas, le fait que l’interprétation des Témoins de Jéhovah ne soit pas la seule possible montre que la prophétie de Daniel fait débat, et ce même parmi ceux qui défendent l’inerrance biblique. Les solutions de Newman et de McDowell ont l’avantage de commencer effectivement en la vingtième année d’Artaxerxès en 445 av. n. è, et non dix ans plus tôt comme pour les Témoins de Jéhovah. Cependant, leur trop grande complexité a tendance à les décrédibiliser.

L'interprétation juive

Les juifs, qui ne croient pas que Jésus soit le Christ, ont une interprétation très différente de la prophétie de Daniel. Selon l’organisation « Jews for Judaism », les 62 semaines ne doivent pas être additionnées aux sept semaines, parce qu’elles sont séparées en hébreu par un signe de ponctuation impliquant une pause dans la lecture. Ainsi, la prophétie concerne non plus un seul, mais deux « oints ».

Le premier est Cyrus, qui donne l’ordre de rebâtir Jérusalem exactement sept semaines d’années (69 ans) après sa destruction. Le second est le Grand-Prêtre Alexandre Jannée, qui prend ses fonctions en 103 av. n. è, à la fin d’une période de 62 semaines d’années commençant à la destruction de Jérusalem en 587, et qui règne de façon tyrannique.

On le comprend, cette interprétation de la prophétie de Daniel implique aussi une prévision de l’avenir. Elle a cependant le double avantage de tomber juste à l’année près et surtout d’être en accord avec l’histoire.

Toutefois, si l’on accepte le fait que le livre de Daniel a été écrit vers 165 av. n. è, comme le disent la grande majorité des spécialistes, on doit alors nécessairement s’intéresser à cette période pour tenter de mieux comprendre ce que Daniel voulait dire. C’est cette démarche qui nous mène à la troisième interprétation possible de la prophétie des 70 semaines d’années : celle qui est retenue actuellement par la majorité des historiens et des biblistes modernes.

Le règne d'Antiochos Epiphane

Comme on l’a vu, le règne d’Antiochos Epiphane fut une période particulièrement difficile pour les juifs. C’est souvent autour d’épisodes de ce genre que la Bible s’est étoffée, le but des auteurs étant de dénoncer certaines dérives religieuses, et de restaurer un culte plus « pur ». Ainsi, une grande majorité de l’Ancien Testament a-t-il été écrit autour de l’exil à Babylone du VIème siècle av. n. è, période durant laquelle la religion et la culture juive étaient en péril (cf Introduction à l’Ancien Testament).

Serait-il donc possible que l’auteur du livre de Daniel n’ait écrit son livre que pour dénoncer les dérives qui caractérisaient son époque, et restaurer le « culte pur » ? Si c’est le cas, il serait alors compréhensible qu’il ait utilisé un langage imagé, et n’ait pas désigné nommément son puissant adversaire Antiochos Epiphane, ainsi que ses successeurs.

Rappelons que ce roi séleucide meurt en 164 av. n. è, peu après la fin de la rédaction du livre de Daniel. Par son intransigeance et ses persécutions envers les juifs, il fera entrer la Judée dans la « révolte des Maccabées », qui sera caractérisé par une période de troubles et de guerre civile. Voyons maintenant ce qui s’est passé durant le règne d’Antiochos Epiphane pour en arriver à une telle situation.

En 175 av. n. è, lorsqu’Antiochos arrive au pouvoir, la Judée est en fait déjà dans une situation conflictuelle. Elle se trouve aux mains des Séleucides, une dynastie hellénistique (c’est-à-dire grecque). Tandis qu’une partie de la population accepte l’hellénisation de la province et sa modernisation, les plus radicaux restent attaché aux coutumes juives, surtout à la circoncision et au sabbat. Cependant, les juifs ne sont pas en position de force, et dans un tel contexte, il devient de plus en plus difficile pour eux de garder les coutumes de leurs ancêtres. Cela est d’autant plus vrai qu’une forteresse séleucide, l’Acra, se dresse désormais au centre d’une Jérusalem qui se transforme peu à peu en cité grecque.

C’est dans ce contexte qu’intervient Jason, le frère du Grand-Prêtre Onias, alors en fonction. Jason intrigue auprès d’Antiochos pour s’approprier le poste de son frère, promettant en échange au roi d’helléniser la province et d’augmenter le revenu des impôts. Dans un premier temps, le plan semble fonctionner, mais l’hellénisation forcée et les charges financières qui l’accompagnent font de plus en plus de mécontents.

Le plan de Jason se retourne contre lui lorsque Ménélas, un parent à lui, intrigue à son tour auprès d’Antiochos pour obtenir la charge de Grand-Prêtre. Devenant alors le nouveau protégé du roi, il évince Jason dès 172 av. n. è, puis fait assassiner Onias l’année suivante. Ménélas et ses proches ont beau être juifs d’origine, ils sont fortement tourné vers la culture grecque. Ils ne montrent aucun respect pour le Temple et ses pratiques, ce qui amène une révolte qui permet à Jason de retrouver temporairement la charge de Grand-Prêtre.

Ce revirement déplaît fortement au roi, qui fait mettre le Temple à sac et remet en place Ménélas, son protégé. La rivalité entre Jason, partisan d’une hellénisation modérée, et Ménélas, plus porté vers une révolution des mœurs juives et un abandon de la Torah, atteint son comble en 168 av. n. è, débouchant sur une guerre civile.

Cette situation d’instabilité politique déplaît si fortement à Antiochos IV qu’il prend la décision radicale d’abolir la Torah, forçant ainsi l’hellénisation de la province. La circoncision, le sabbat, le sacrifice et les fêtes juives sont désormais interdits. Pire, le Temple de Jérusalem est alors consacré à Zeus !

Beaucoup de juifs préfèrent mourir plutôt que de transiger avec leurs principes, et la situation est si difficile pour eux que la résistance s’organise rapidement. Peu après l’interdiction du culte, une révolte éclate sous l’instigation d’un juif nommé Mattathias. Après sa mort en 166 av. n. è, elle est menée par l’un de ses fils, Judas Maccabée, qui combat l’armée grecque et délivre Jérusalem en 165, dédiant alors à nouveau le Temple au dieu d’Israël, YHWH.

La mort d’Antiochos en 164 av. n. è. n’entraîne pas la fin des combats, qui se prolongeront encore pendant plusieurs décennies. En fait, les juifs n’obtiendront jamais leur indépendance, et Jérusalem restera sous domination étrangère pour longtemps encore.

L’interprétation des spécialistes

Si l’on en croit les spécialistes, c’est dans ce contexte difficile qu’est écrit le livre de Daniel. Ainsi, nombre d’entre eux défendent l’idée que la prophétie des 70 semaines s’applique à la période allant de l’exil à Babylone à la mort d’Antiochos Epiphane, faisant ainsi de ce roi le « prince » dont il est question en Daniel 9:26 (Jewish Encyclopedia, Book of Daniel).

Dans cette optique, l’« oint » mentionné après la première période de sept semaines serait Cyrus, le libérateur du peuple juif. Cela est d’ailleurs confirmé par le passage d’Isaïe 45:1, qui cite Cyrus nommément, ainsi que par le fait que 49 années séparent effectivement la destruction du Temple en 587 av. n. è. du retour d’exil en 538.

Ensuite, la dernière « semaine d’années » est située généralement sous le règne conflictuel du roi séleucide Antiochos IV Epiphane, entre 171 et 164 av. n. è. La durée des 62 semaines (434 années) ne correspond pas à la période allant de 538 à 171, mais il faut comprendre que la connaissance chronologique de l’époque n’était pas très fiable, et que le chiffre de 62 a pu être choisi simplement pour atteindre le chiffre hautement symbolique de 70 semaines au total (7 + 62 + 1). De fait, les évènements de la dernière « semaine d’années » collent trop parfaitement au texte de Daniel pour que cela découle d’une coïncidence.

La « semaine » commence en effet par le meurtre de l’« oint » ou Christ, c’est-à-dire le Grand-Prêtre Onias, en 171 av. n. è. (Daniel 9:25). Ensuite, au milieu de la semaine, le Temple de Jérusalem est souillé par une abomination : la statue de Zeus, faisait ainsi « cesser sacrifices et offrandes » (Daniel 9:27). Enfin, la mort d’Antiochos et le rétablissement du culte au Temple en 164 marquent l’onction du « Saint des saints » (Daniel 9:24). Tout concorde.

Selon le livre de Daniel lui-même, le rouleau est resté « scellé jusqu’au temps de la fin » (Daniel 12:9). L'auteur veut ainsi induire l'idée qu'il y a une longue période de temps, peut-être plusieurs siècles, qui sépare l'écriture du rouleau et sa lecture. Or, le personnage de Daniel est soudain devenu populaire dans la deuxième moitié du IIème siècle av. n. è, alors qu’il n'est mentionné nulle part peu avant cette période. Ainsi, c’est durant l’époque troublée de la révolte des Maccabées, au « temps de la fin », que le rouleau est ouvert, rappelant alors à tous l’existence du personnage de Daniel. Le rouleau est-il resté scellé pendant quatre siècles ? Non, bien sûr. La forme finale du rouleau, qui contient les « prophéties », date évidemment de peu de temps avant son ouverture. Et en ces temps difficiles, le message final du livre est destinée à redonner espoir au peuple qui vit des heures sombres : « Et quant à toi, va vers la fin ; et tu te reposeras, mais tu te lèveras pour ton lot à la fin des jours. » (Daniel 12:13).

Lire la suite : Jésus Christ a-t-il été annoncé dans l’Ancien Testament ?

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